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0.1. Le logiciel, l'appréhension juridique d'un outil technique

La Commission de terminologie et de néologie de l'informatique1 définit le logiciel comme un « ensemble des programmes, procédés et règles, et éventuellement de la documentation, relatifs au fonctionnement d'un ensemble de traitement de données ».

La notion revêt néanmoins de multiples facettes selon le regard qu'on lui porte. Nous en retiendrons deux qui nous intéressent plus particulièrement : le logiciel comme objet technique d'une part et comme objet juridique d'autre part2.

  • 1. Par un arrêté du 22 décembre 1981 pour l'« Enrichissement du vocabulaire de l'informatique ».
  • 2. Pour être plus complet, il faudrait au moins parler de la vision informationnelle (un ensemble d’instructions écrites en langage humain et traduit en code binaire pour être interprété par une machine électronique) et consumériste (le logiciel étant un produit de consommation, soumis en cette qualité aux dispositions du code de la consommation).

0.1.1. Le logiciel, un objet avant tout technique

Techniquement, ce que l'on appelle logiciel correspond à « un ensemble d’instructions et de règles qui permet à un ordinateur ou à un système informatique d'assurer une tâche ou une fonction en particulier ». D'autres termes renvoient à cette même définition et celui qui s'en rapproche le plus – tout en étant moins ambigu – est celui de programme.

Sa forme peut être variée mais deux états se distinguent clairement :

  • Le code source, qui est l’ensemble des lignes de codes qui constituent les instructions et règles de fonctionnement du logiciel. Il peut se définir comme un ensemble d'instructions écrites dans un langage de programmation informatique compréhensible par un être humain, permettant d'obtenir un programme pour un ordinateur.
  • Le code objet est l'ensemble d'instructions qu'est capable de lire et d'exécuter un microprocesseur (en code binaire exécutable). Un code objet est obtenu en compilant un code source 1. La conséquence est que le code objet (résultant de la compilation) n’est pas directement intelligible par l’esprit humain.

Il est généralement nécessaire de procéder à la compilation du code source en code objet pour pouvoir faire fonctionner le logiciel, mais certains langages, dits « langages interprétés » (PHP Ruby, Perl, etc.), sont convertis en , instructions exécutables par la machine au moment de leur exécution (et sont donc distribués sous forme de code source). Dans la même veine, d'autres nécessitent la présence d'un interpréteur, on parle alors de langages semi-interprétés (par exemple Java, avec la Machine Virtuelle Java).

  • 1. Liste des instructions d'un programme exprimées dans un langage que l'homme est capable de manipuler aisément. Sans le code source il est très difficile de modifier un programme.

0.1.2. Le logiciel, un objet juridique

Depuis leur création, les logiciels ont rapidement acquis une valeur patrimoniale forte, tant pour les auteurs (ou société éditrice) que pour les utilisateurs. Par nature immatériels – et donc non rivaux (l'usage des uns ne limite pas l'usage des autres) et non exclusifs (tout le monde peut en jouir) –, contrôler leur diffusion était très difficile.

Ainsi, pour répondre au besoin d'appréhension de ce bien immatériel, les juristes se sont très vite interrogés sur la meilleure protection à conférer au développeur d'un logiciel, entre brevet (auquel on songe en raison de son aspect technique) et droit d’auteur (considérant le langage informatique comme une forme d'expression).

C’est la seconde qualification qui fût retenue en France et plus largement en Europe : les législations reconnaissant par ce mécanisme un droit de propriété intellectuelle aux auteurs de logiciels.

La reconnaissance d'un droit de propriété intellectuelle

1. Une protection du logiciel en tant qu'Œuvre

Lors des premiers contentieux en matière de logiciel et devant le silence de la loi, les juges se sont naturellement tournés vers l'édifice législatif et jurisprudentiel du droit d'auteur en assimilant l'écriture d'un logiciel à celle d'une œuvre littéraire.

Le législateur a confirmé peu de temps après cette orientation par la loi du 3 juillet 19851qui est venue compléter l'article L. 112-2 du CPI d'un alinéa 132afin de désigner expressément le logiciel comme une « œuvre »3. Néanmoins, pour prendre en compte la dimension industrielle de cette création, quelques ajustements furent apportés au droit d’auteur « artistique » au détriment de l'auteur, personne physique d'un logiciel : il s’agit de l’attribution automatique des
prérogatives patrimoniales du droit d’auteur à l’employeur, et de l’amputation d'une partie des droits moraux, etc.4.

Néanmoins, d'autres pays (parmi lesquels les États-Unis et le Japon) recourent à la notion de brevets logiciels. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles une pratique semblable s'est développée, en dehors de tout cadre juridique, au sein des offices nationaux européens (au premier rang desquels l'Office Européen des Brevets) : le dépôt de brevets est ainsi accepté sur les « inventions mises en œuvres par ordinateur », puis aujourd’hui sur des logiciels en tant que tels. Frein à l'innovation et à l'interopérabilité, cette extension du brevet est une problématique complexe et souvent remise en question5.

2. Une protection différenciée des composantes du logiciel

Autour du programme en tant que tel, d'autres composantes (qui sont des stades antérieurs du logiciel, ou qui accompagnent ce dernier) forment ce que l'on appelle le « logiciel » :

  • Le matériel de conception préparatoire qui couvre, selon la directive communautaire, « l’ensemble des travaux de conception aboutissant au développement d’un programme à condition qu’il soit de nature à permettre la réalisation d’un programme d’ordinateur à un stade ultérieur ». Ceci comprend les ébauches et les maquettes, les analyses, les organigrammes, mais pas les spécifications fonctionnelles ni le cahier des charges initial qui sont des préalables au développement du code source et restent au stade des idées non protégeables.
  • L’architecture du programme : il s’agit de la façon dont sont enchaînés les différents sous-programmes et dont sont déclarées et utilisées les variables. C’est essentiellement l’architecture qui différencie deux programmes aux fonctionnalités identiques.

A contrario, les fonctionnalités d’un logiciel et les algorithmes (processus systématiques de résolution d’un problème par le calcul) ne peuvent être protégées (contrairement à leur implémentation) car ils restent assimilés aux idées et sont « de libre parcours ».

Enfin, en périphérie du logiciel, d'autres éléments sont aussi protégés :

  • Le nom du programme peut être protégé par le droit d’auteur comme le titre d’une œuvre, s’il présente une originalité – protection pouvant éventuellement se cumuler avec les droits issus d'une marque déposée.
  • La documentation qui permet d’utiliser le logiciel. Selon les dispositions légales applicables au logiciel, la documentation, œuvre de l’esprit écrite, fait partie du logiciel et bénéficie de sa protection juridique. On doit néanmoins la différencier de la documentation « utilisateur » qui, elle, sera protégée de manière indépendante.
  • 1. Loi n°85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des ar tistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.
  • 2. « Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : [...] 13° Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ; [...]. »
  • 3.

    Le caractère scientifique des logiciels n'exclut pas pour autant cette qualification d'œuvre de l'esprit : « L’élaboration d’un programme d’ordinateur est une œuvre de l’esprit originale dans sa composition et son expression allant au-delà d’une simple logique automatique et contraignante, il ne s’agit pas d’un mécanisme intellectuel nécessaire, les analystes-programmeurs ont à choisir comme les traducteurs d’ouvrages entre divers modes de présentation et d’expression, et leur choix por te ainsi la marque de leur personnalité » (TGI Paris, 27 mars 1987).

  • 4. Corollaire de ce choix, les lois nationales et communautaires ont expressément exclu le logiciel du champ de la brevetabilitéAr t. L 611-10 du Code de la propriété intellectuelle et Ar ticle 52 de la Convention du Brevet Européen du 5 octobre 1973.
  • 5. Le Parlement européen ayant rejeté le 6 juillet 2005 la directive « brevet logiciel » (par 648 voix pour, 14 contre et 18 abstentions) qui proposait de légaliser la pratique de l'Office Européen des Brevets.

0.1.3. Les prérogatives du titulaire des droits de propriété intellectuelle

Dès lors que le logiciel est une création originale, un monopole est établi au profit de son développeur qui est investi des droits moraux sur la création et des droits patrimoniaux d’exploitation.

1. Les droits patrimoniaux dévolus à l'auteur, un droit exclusif d'exploitation

Les droits patrimoniaux sont les droits qui permettent l'exploitation du logiciel. C’est l’utilisation de ces droits que l’on aménage par contrat (souvent appelé « licence ») : les droits d’utilisation ou d'exploitation sont cédés, le plus souvent de façon non exclusive, par le titulaire de droits (éditeur ou SSII par exemple) sur le logiciel au licencié (utilisateurs par exemple).

shéma

Les droits patrimoniaux sont de trois catégories :

  • a) Le droit de reproduction (notamment le chargement, l'affichage, l'exécution, la transmission ou le stockage du logiciel1) – seul l'usage du logiciel en SaaS (Software as a Service) supprime la nécessité pour l'utilisateur de disposer d'un tel droit ;
  • b) Le droit de distribution qui permet au titulaire de droits d’autoriser la mise sur le marché, à titre onéreux ou gratuit ;
  • c) Le droit de modification2 : droit de correction, nécessaire pour maintenir le logiciel en état de fonctionnement et la conformité du logiciel à l'usage décrit ; et droit d’adaptation, entendu comme le droit de procéder à des modifications et évolutions fonctionnelles du logiciel.

2. Le droit moral de l’auteur, un droit extrapatrimonial

Par ailleurs, l'auteur dispose de multiples autres prérogatives regroupées au sein de la notion de « droit moral ». Dans la tradition du droit d’auteur, le droit moral est un droit « perpétuel, inaliénable et imprescriptible »3 de l’auteur sur son œuvre : il ne peut pas le céder et/ou le perdre par le non usage.

Traditionnellement, ce droit se compose :

  • Des droits de divulgation (qui permet de décider de la première mise à disposition),
  • Du droit de repentir et de retrait,
  • Du droit au respect de son nom et de sa qualité (droit de paternité).
  • Du droit au respect de l’œuvre.

En revanche, l'auteur d'un logiciel ne peut exercer son droit de repentir ou retrait (pour retirer son logiciel du marché), ni s'opposer à la modification du logiciel par son employeur4.

3. Les notions d'auteur et de titulaire de droits

Par principe, l’auteur d’une œuvre (logicielle ou non) est le seul titulaire de droits, c'est-à-dire celui qui crée l'œuvre (logicielle ou non), mais le CPI prévoit un système dérogatoire au droit commun lorsque l'auteur d'un logiciel est un salarié. Il prévoit une dévolution automatique des droits patrimoniaux à l’employeur dès lors que le salarié a créé le logiciel « dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions de son employeur »5 (CPI, art. L. 113-9).

L’employeur est alors titulaire des droits patrimoniaux et, partant, il bénéficie de l'ensemble des prérogatives attachées à l'exploitation de l'œuvre.

Ainsi, en vertu de la dévolution automatique, c’est donc, sauf stipulation contraire6, l’entreprise développant un logiciel qui, en tant que titulaire des droits d’auteur, décide de son développement, de sa mise sur le marché et choisit la licence sous laquelle le logiciel sera commercialisé.

4. La licence, un outil juridique d'exploitation du logiciel

La société titulaire des droits d’auteur sur le logiciel peut transférer au licencié, utilisateur, en tout ou partie, à titre exclusif ou non exclusif, ses droits patrimoniaux et plus spécifiquement, le droit de reproduction et les droits de traduction (dans un autre langage informatique), d’adaptation, d’arrangement ou de modification. Seul l’auteur – son employeur en cas de création salariale – peut décider des droits qu’il concède aux tiers (ses clients) par démembrement de son monopole d’exploitation. Dans cette optique, tout droit qui n’est pas expressément concédé demeure strictement réservé au titulaire des droits.

Ne pouvant céder plus de droits qu’elle n'en dispose, la société doit donc s’être assurée :

  • que ses salariés ont développé le code source dans l’exercice de leur fonction (cf. supra) ;
  • à défaut, acquérir auprès de ses salariés la propriété intellectuelle de leurs travaux (voir clauses spécifiques, infra) ;
  • que le développement du logiciel n’a pas impliqué l’insertion de code source appartenant à un tiers (ou ajouter les stipulations exactes des licences Open Source si celles-ci existent) ;
  • que la cession des droits par voie de licence est formalisée, en cas de recours à des tiers dans le développement du logiciel.

Les licences Open Source fonctionnent fondamentalement comme les licences classiques et, juridiquement, il n’y a qu’une différence de degré entre la cession sous licence Open Source d’un logiciel et la simple licence d’utilisation : la liberté de l’utilisateur est plus ou moins grande, en fonction des droits que lui a reconnus son auteur à travers la licence.

  • 1. Le Code prévoit toutefois une exception, celle de la copie de sauvegarde (lorsque celle-ci est nécessaire pour préserver l’utilisation du logiciel).
  • 2.

    En principe, il n’est jamais concédé aux utilisateurs, mais éventuellement à des prestataires intermédiaires chargés de la maintenance corrective et/ou évolutive du logiciel (Tierce Maintenance Applicative). Le CPI prévoit également un droit de décompilation très for tement limité.

  • 3. Ce droit est inaliénable en droit français, par opposition au copyright anglo-saxon.
  • 4. CPI, ar t. L. 121-7.
  • 5. Étant entendu qu'il est tout à fait possible d'y déroger contractuellement au profit au salarié.
  • 6.

    La pratique existant notamment dans les sociétés qui abandonnent ce droit au profit de leurs employés au cas par cas dans le cas du développement d'un logiciel libre. Hewlett Packard en est un exemple.