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2.1. Impacts sur la politique commerciale et éditoriale de l'entreprise

Le logiciel libre bouleverse les conceptions classiques du modèle industriel des éditeurs. Ainsi la gestion de la propriété intellectuelle ne doit plus être pensée uniquement en termes d'interdiction, mais aussi en termes d'autorisation – la gageure étant pour les sociétés d'ouvrir tout en conservant le contrôle.

Dès lors que l’éditeur ouvre et diffuse le code source de ses produits gratuitement, il ne peut plus compter sur les redevances de licences pour rentabiliser les travaux de Recherche & Développement effectués en amont. En outre, et à l’évidence, l’éditeur perd l’avantage concurrentiel que constituent la confidentialité et le secret d’affaires.

Il doit affiner l’usage qu’il entend faire des droits de propriété intellectuelle et prendre l’avantage sur d’autres axes de compétition, ce qui revient à modifier son « business model ». Cette évolution se traduit par la mise en place d'une politique en matière de propriété intellectuelle (permettant de dissocier, mais aussi de rendre cohérente, la gestion des différents droits de propriété intellectuelle : droit des marques, brevets, droits d'auteur, etc.).

L'Open Source n'est donc pas un business model en soi, mais une combinaison de différents modèles existant.

2.1.1. Le modèle « distributeur à valeur ajoutée »

(Ce passage est tiré du "Livre blanc sur les modèles économiques du logiciel libre"1, disponible sous GNU FDL 1.3 uniquement).

Les Logiciels Libres sont généralement des applications fortement paramétrables, auxquelles sont associés des modules librement réutilisables, modifiables, personnalisables, en fonction des besoins de chaque utilisateur. Ce caractère « protéiforme » des applications proposées et des licences liées engendre une valorisation inéluctable des services associés, tendance encore renforcée par l'amélioration des outils (gestion de projets, méthodes de collaboration innovantes entre le client et le prestataire, supervision et pilotage, etc.). Cela conduit à concilier innovation, standardisation, distribution et personnalisation spécifique. D'où la spécialisation progressive des sociétés du secteur en faveur de modèles hybrides d'édition de logiciel, de distribution et d'intégration spécifique, très orientés
vers une économie de services.

Lors de l'achat de logiciels propriétaires, le client paie généralement un premier prix pour utiliser le logiciel, un second prix pour les services de maintenance (pour une durée déterminée et renouvelable) ainsi qu'un troisième prix pour le paramétrage du logiciel.

Parallèlement, lors de l'acquisition de Logiciels Libres auprès d'un distributeur, l'utilisateur a souvent le choix entre télécharger son produit ou acheter un support physique (incluant le média et la documentation). C’est alors un abonnement à une prestation récurrente de maintenance et d'assistance qui permet d'accéder au système automatique de mises à jour, ainsi qu'aux services variés tels que l'assistance technique ou la formation. L'utilisateur est donc libre de consommer les services proposés, selon ses besoins, auprès du prestataire le plus compétitif. Les sociétés génèrent donc leurs revenus à partir de la vente des supports physiques du logiciel, et/ou surtout de la commercialisation de services à valeur ajoutée tels que formation, support technique et assistance2.

  • 1. April et collectif d'auteurs, rédaction coordonnée par Jean-Noël de Galzain de la société Wallix, publié en décembre 2007
  • 2. Différentes formes de suppor ts existent, notamment des services équivalents à ceux offer ts par un éditeur classique. Voir 3.2.4 Garantie contractuelle et Maintenance.

2.1.2. Le modèle de la licence double et/ou décalée

(Ce passage est tiré du "Livre blanc sur les modèles économiques du logiciel libre"1, disponible sous GNU FDL 1.3 uniquement).

Cette pratique, de plus en plus répandue, consiste à exploiter un même logiciel sous deux types de licences (il est donc possible d'en jouir selon l'une ou l'autre des licences) et de proposer diverses options et services connexes. Ce modèle est adopté à la fois par des éditeurs classiques qui révolutionnent leur modèle économique (Ingres, Sun) et des éditeurs 100% Open Source (MySQL, TrollTech, etc.).

De plus en plus d’éditeurs adoptent une politique de doubles licences (ou dual licensing ). Le but est double :

  • exploiter pleinement un nouveau statut d’éditeur logiciel Open Source et,
  • retirer des ressources de l’exploitation commerciale des produits tout en remplaçant activités de maintenance et de développement.

Les éditeurs proposent de publier pour la Communauté une version standardisée et stabilisée de leur offre, afin de prendre position sur leur marché, et continuent d'investir sur de nouvelles versions vendues sous forme d'offres additionnelles ou de maintenance autour de leur noyau de base. En parallèle, ces éditeurs proposent une offre
supérieure ou équivalente2 en fonctionnalités aux clients demandeurs, sur la base d'une tarification traditionnelle, selon une autre licence (mixte ou propriétaire). Le principal effet vertueux de ce modèle consiste à imposer peu à peu sur le marché un standard technique par ouverture systématique de son code source, ce qui augmente l'accessibilité du client et le prototypage potentiel. La rémunération de l’éditeur est acquise via les services connexes et celui-ci assure le pilotage du projet Open Source.

Les éditeurs et prestataires les plus connus sur le marché des logiciels libres ont d’ores et déjà adopté une politique de dual licensing :

  • Talend, éditeur de solutions d’intégration de données (dual License) ;
  • Oracle, via ses rachats successifs ;
  • Berkeley DB, base de données sous licence de type permissif ;
  • MySQL, éditeur de gestionnaires de bases de données (dual License) ;
  • Sun Microsystems, précurseur dans le développement du logiciel libre (le langage informatique Java est sous licence Open Source, ainsi que son système d'exploitation OpenSolaris), est également à l’origine du projet OpenOffice.org, qui équipe aujourd’hui les principales administrations françaises. Sun a racheté MySQL et s'est récemment fait racheter par Oracle ;
  • Linagora, qui édite de multiples logiciels Open Source : OBM, LinPKI, LinShare et LinID ;
  • Red Hat, précurseur en matière de services informatiques basés sur l’Open Source, avec par exemple sa solution JBoss JTS disponible sous licence Open Source et sous licence propriétaire.
  • Nokia, au travers de son rachat de la société Trolltech, éditeur de la bibliothèque Qt, diffuse sa solution sous triple licence GNU GPL, GNU LGPL et propriétaire (cette dernière solution permettant de ne pas fournir le code source sur les modifications, de créer des applications propriétaires, d'avoir une mise à jour et un support préférentiels, etc.).

Ces éditeurs distinguent une version « communautaire », soumise à une licence Open Source et une version « entreprise », soumise à une licence propriétaire classique – les deux versions étant généralement identiques. Mais attention seul un éditeur qui détient l'intégralité des droits de propriété intellectuelle sur son produit est en mesure d’adopter ainsi des licences distributives sur les produits qu’il développe.

Une variante (le modèle à licence décalée) consiste pour l’éditeur, sur un principe équivalent, à ne facturer que les versions récentes de ses logiciels (6 à 12 mois) et ensuite à les publier sous licence Open Source dès commercialisation d'une nouvelle version majeure. Le client standard de l’éditeur ne paie ainsi que pour l'innovation fonctionnelle et technique, et éventuellement pour le support, tandis que l’éditeur oriente son modèle économique vers davantage de services (maintenance logicielle, support revendeur, assistance utilisateur) et de vente de modules additionnels3.

  • 1. April et collectif d'auteurs, rédaction coordonnée par Jean-Noël de Galzain de la société Wallix, publié en décembre 2007
  • 2. On retrouve notamment cet exemple avec MySQL: la même version est disponible sous les deux licences, mais le choix de la licence commerciale assure une plus grande souplesse pour celui qui souhaite intégrer intimement MySQL dans son produit avec une licence propriétaire.
  • 3. Par exemple Aladdin SW.

2.1.3. L'Open Cloud Computing

Le modèle SaaS (Software as a Service) existe depuis plusieurs années maintenant et le contexte économique actuel1 est particulièrement favorable à son développement – voire à son extension2. Derrière les différents termes couvrant le Cloud Computing (Infrastructure as a Service, Platform as a Service, Software as a service, Pay per use, On demand , etc.), il y a une idée commune, un concept fédérateur : celui de ressources informatiques disponibles à la demande et facturées uniquement en fonction de leur utilisation. Ces ressources peuvent être des services, des applications, des plates-formes applicatives permettant d'héberger les applications des entreprises, du stockage, de la CPU ou de l’infrastructure réseau, voire un mélange de l'ensemble. Même si le recours aux logiciels sous licence Open Source, sans frais de licence et fournis en mode Cloud , tend à se développer3, les services prennent bien souvent le pas sur ceux-ci (les logiciels étant accessoires et substituables)4.

Dans ce contexte, aux problèmes classiques posés par le Cloud (dépendance vis-à-vis du fournisseur, sensibilité des données hébergées, aucune maitrise sur la pérennité et stabilité des services5), s'ajoutent ceux liés à l'impact du Cloud Computing sur les Logiciels Libres. Ainsi, en l'absence de distribution des Logiciels Libres6, la majeure partie des licences (même copyleft ) n'imposent aucune communication des codes sources des logiciels lors de leur utilisation sous forme de service7. En effet, la mise à disposition d'un service sur le web ne nécessite pas l'installation d'un logiciel par l'utilisateur final. Dès lors qu'il n'y a pas distribution de logiciel, les droits et devoirs des licences ne s'imposent pas. Il s'agit ainsi de problématiques similaires à celles rencontrées avec les logiciels propriétaires, puisqu'il y a une possibilité de rendre « indisponible » le code source du logiciel délivrant le service.

D'où la question : « le Logiciel Libre est-il soluble dans le Cloud ? »8 car de nombreuses sociétés proposent des services sur Internet qui reposent sur des Logiciels Libres en adoptant une position plus ou moins ambiguë vis-à-vis de l'Open Source9. Devant la lacune des licences traditionnelles, dénommée « ASP Loophole ». Littéralement « Faille ASP ». Voir à ce sujet « GNU Af fero GPL version 3 and the " ASP loophole" » », une série de nouvelles licences10 – la licence GNU Affero GPL en tête – fait en sorte que le licencié qui utilise un logiciel pour fournir un service à des utilisateurs via le réseau ne puisse le faire sans redistribuer les modifications qu’il aura apportées à ce logiciel11.

Deux raisons semblent pouvoir motiver le choix de ces licences :

  • La première : un choix de « forcer » la collaboration et les échanges entre des acteurs industriels concurrents (avec ou sans contrat de consortium), dans la droite lignée de ce que l'on appelle coopétition12, ou
  • La seconde : une contrainte liée à l'intégration d'un des nombreux composants sous une licence du type GNU Affero GPL13.

Parallèlement et réaffirmant la liberté de l'utilisateur, un certain nombre de sociétés essaient de casser le modèle actuel grâce à l'Open Source14: en utilisant la version communautaire de leur Logiciel Libre15 pour leur service et en donnant aux utilisateurs la possibilité d'exporter le code, le thème et les données sur une autre instanciation (mutualisée ou dédiée) de ce même logiciel (c'est notamment le choix réalisé par la société Acquia, à l'origine du CMS Drupal, avec son offre « Drupal Garden »). Il n'y a donc aucun blocage au détriment de l'utilisateur, ce qui s'avère intéressant pour le projet Open Source, les utilisateurs et les sociétés qui se greffent sur le modèle : les Logiciels Libres offrent la faculté de déployer pour soi et chez soi une nouvelle instanciation d'un logiciel auparavant utilisé comme service, afin de maintenir une indépendance vis-à-vis d'un fournisseur, un contrôle sur ses services et une confidentialité quant à ses données.

Les enjeux dépassent les simples droits de propriété intellectuelle : la vie privée et les données personnelles sont impactées ainsi que les données libres, l'interopérabilité et la standardisation. C'est ce constat qui a motivé la création d'initiatives, telles que l'Open Cloud Consortium, l'Open Cloud Manifesto ou TIOLive. Et bien qu'aucune de ces initiatives n'arrive à fédérer les efforts, voire à faire émerger des standards, elles convergent vers un même but retrouver dans le monde du Cloud les mêmes qualités que celles que nous trouvons dans le monde Open Source (l'absence de barrière d'entrée et de sortie, l'absence de discrimination, l'interopérabilité, la neutralité technologique et la transparence).

  • 1. Notamment la crise économique, les préoccupations environnementales, la progression du Logiciel Libre (qui font abandonner la simple valorisation par la rente) et l’influence du « Cloud computing ».
  • 2. Voir notamment Benjamin JEAN, « Cloud Computing et Open Source », intervention réalisée lors de la journée JuriTIC sur « le point
    sur le droit des logiciels... jusqu’au Cloud Computing », 6 mars 2009 à Bruxelles. Plus Livre Blanc du Cloud Computing, Syntec Informatique 2010
  • 3. Ainsi en est-il de la majeure par tie des logiciels utilisés pour faire fonctionner le web (Apache, PHP MySQL, GNU/Linux, BSD, etc.), l'Internet (Postfix, Bind, etc.), mais aussi les logiciels plus spécifiques au Cloud tels Hadoop, Eucalyptus, Xen, KVM, etc.

    Voir notamment l’édition 2009 du Baromètre « Atouts & Bénéfices du modèle SaaS/on demand », réalisée par le Cabinet Markess International, janvier 2009. Voir : www.markess.fr.

    Voir également : http://developers.facebook.com/opensource.php et http://blog.twitter.com/2008/01/twitters-starling-released-as-
    open.html

  • 4. Il convient toutefois de distinguer deux types d'utilisateurs de Cloud Computing : les professionnels qui utilisent ces services pour y ajouter leur propre valeur, et les consommateurs qui en sont les destinataires terminaux.
  • 5. Et ceci, quelles que soient les clauses de responsabilité prévues.
  • 6. Voir à ce sujet la partie 3, sur la description des licences.
  • 7. Ces dernières assimilant l'usage à ceux permis sans limites « dans la sphère privée » de l'utilisateur.

    L’explication est simple : 1) L’utilisateur accède via son navigateur au site du licencié ; 2) à sa demande, une requête est envoyée au licencié ; 3) Celui-ci traitera cette requête en interne sur ces propres PC hébergeant le logiciel (et donc le service). Ainsi, le licencié enverra la réponse sans jamais avoir distribué le logiciel.

    Il faut néanmoins reconnaître que cer tains logiciels (tel le code javascript récupéré dans le navigateur, AJAX, etc.) interagissent directement avec l'utilisateur.

  • 8. Voir la FOSS Roadmap 2020
  • 9. Alors que cer tains projets reçoivent leur soutien, les modifications ou améliorations appor tées au logiciel par ces dernières ne sont pas forcément reversées.
  • 10. D'autres licences avaient déjà intégré en leur sein ce mécanisme : l’Honest Public licence, l’Open Software License 3.0, la Reciprocal Public License 1.5, la Common Public Attribution License Version 1.0 (CPAL). L'European Union Public Licence le fait aussi depuis sa version 1.1.
  • 11. Sur ce sujet, voir Anne PERNY, « SAAS : quelles licences open source adopter ? », mémoire de stage sous la direction de Benjamin JEAN, septembre 2009.
  • 12. Néologisme qui renvoie aux notions « coopération » et « compétition ».
  • 13. l y a aujourd'hui plus de 421 projets sur Sourceforge sous GNU AGPL.
  • 14. Cherchant par ce biais à calquer le modèle Open Source sur les services (se servant de l'architecture, de la mutualisation, du par tage et de la structure offer te par l'Open Source).
  • 15. Le choix d'une licence du type GNU Affero GPL étant selon nous un gage de sécurité supplémentaire.

2.1.4. Le modèle de « services à valeur ajoutée »

(Ce passage est tiré du "Livre blanc sur les modèles économiques du logiciel libre"1, disponible sous GNU FDL 1.3 uniquement).

Il s'agit ici des équivalents Open Source des SSII : leurs métiers consistent principalement à l'intégration, la maintenance, le paramétrage, etc., de Logiciels Libres et à l'accompagnement des clients dans cette intégration.

On parle généralement de SSLL (« sociétés spécialisées en logiciels libres ») pour les sociétés spécialisées dans l'intégration et les services autour des logiciels libres, mais les éditeurs de Logiciels Libres ont eux-mêmes fréquemment une offre de ce type (Red Hat, Novell, etc.) et les grands intégrateurs commencent à développer en interne des compétences similaires (même s'ils dépendent fréquemment des compétences fournies par les SSLL).
 

  • 1. April et collectif d'auteurs, rédaction coordonnée par Jean-Noël de Galzain de la société Wallix, publié en décembre 2007

2.1.5. Le modèle d'intégrateur hybride

(Ce passage est tiré du "Livre blanc sur les modèles économiques du logiciel libre"1, disponible sous GNU FDL 1.3 uniquement).

On entend par « hybride » le fait de fédérer des offres « produits » et des offres « services » au sein d'un prestataire unique positionné soit sur un axe métier (par exemple la sécurité), soit sur l'axe du système d'information global de l'entreprise (par exemple le système d'information d'une collectivité locale, d'une filiale ou division d'une entreprise du CAC 40) en garantissant au client la cohérence et la pérennité de l'ensemble. Il s’agit là du développement de structures concurrentes des intégrateurs traditionnels (Capgemini, Atos Origin, Steria...).

Les modèles doubles ou hybrides connaissent une croissance forte depuis quelques années et cette croissance se confirme pour les années à venir. Le marché connait une grande prolifération d’acteurs de petite taille, éditeurs pratiquant le dual licensing et SSLL avec des outils libres notamment qui suivent des stratégies de niche. Mais surtout, le Logiciel Libre passe d’un marché émergent à un marché d’expansion (tous les aspects d’un système d’information, toutes les activités impliquant des ressources logicielles) et de maturation (avec la consolidation des modèles économiques en question).

  • 1. April et collectif d'auteurs, rédaction coordonnée par Jean-Noël de Galzain de la société Wallix, publié en décembre 2007